biographie

10 mois, entre mère et grand-mère

 

 

 

 

 

 

 

Je construis inlassablement dans les sables du Touquet-Paris-Plage
d'inexpugnables châteaux-forts que la mer bientôt, inexorablement,
effacera en moins de trois petites vagues...

 

" Pour autant que je me souvienne, j’ai eu une enfance heureuse, baignant dans l’amour de ma mère dont j’étais le fils unique. Une seule ombre, l’école, qui me coupait du cocon maternel et me confrontait à d’autres enfants dont j’avais tendance à me tenir écarté. Réservé et solitaire, je préférais jouer avec mes soldats de plombs. Je garde le souvenir merveilleux d’un Noël où je me retrouvai à la tête de soldats datant du Moyen Age, assortis d’un château de bois que je pris et repris d’assaut des milliers de fois de suite sans jamais me lasser. J’avais aussi une belle collection – à vrai dire, je l’ai encore, sauf deux ou trois pièces perdues, malheur irréparable – d’indiens et de cow-boys. Quand j’y pense aujourd’hui, presque toujours avec la même émotion, je ne peux me défaire de l’idée que ce fût l’origine lointaine de mon goût pour l’ethnologie. Mes jeux, toujours des batailles, se passaient dans des lieux imaginaires qu’une tente d’indien ou un tonneau échappé de quelque western suffisaient à évoquer. Je me souciais assez peu de précision géographique, raison pour laquelle pendant toutes mes études j’ai toujours été aussi indifférent à ces matières que sont la géographie ou la géologie. J’étais peu porté sur le sport, bon en calcul et en mathématiques, assez médiocre dans toutes les autres disciplines, tout particulièrement en français. On cherchait sans succès à me faire lire les romans d’aventure que l’on propose ordinairement aux enfants de mon âge. Ce fut seulement à l’adolescence que je  découvris qu’il existait une autre littérature, avec Montaigne, Pascal, Camus ou Sartre. C’est ainsi que je commençai assez jeune à me passionner pour la philosophie.

 

 

A la montagne...

 

 

Toutefois, après mon baccalauréat obtenu à 17 ans, mes dons naturels en mathématiques firent que l’on m’orienta vers les classes préparatoires des Grandes Écoles d’Ingénieur. Je garde un assez bon souvenir de ces années, en dépit du travail colossal que l’on nous imposait. L’argot par lequel on désigne ces classes préparatoires en sciences, la « taupe », et les élèves, les « taupins », en dit suffisamment sur le sujet. Je me souviens d’un étudiant, ayant avoué n’avoir pas lu La princesse de Clèves (lecture obligatoire du programme en français) mais prétendant faire valoir, en guise d’excuse, l’avoir vu au cinéma, s’être entendu répondre : « Comment, Monsieur, vous êtes en taupe et vous allez au cinéma ! » C’est à cette époque que j’ai pris conscience, fortement aidé par des professeurs que ma mémoire chérit encore, de ce qu’était une science. Je me souviens de l’émerveillement qui me saisit lorsqu’un de ces géniaux enseignants nous expliqua comment les couches électroniques de l’atome permettaient d’expliquer la plus grande partie de la chimie. Émerveillement car toutes ces combinaisons colorées et fumantes que l’on faisait en travaux pratiques – toute cette chimie que je détestais – pouvaient être réduites à quelques équations simples. Équations dont j’admirais la sobre abstraction et la puissance explicative.

Ayant échoué de peu au concours de Polytechnique, et plutôt que de refaire une année ou plusieurs années ainsi qu’il était courant à cette époque, je préférai intégrer tout de suite l’École Nationale des Mines de Paris, ce qui était somme toute assez honorable, et ne décevait pas trop ma mère dont le souhait le plus cher aurait toutefois été de voir défiler son fils en tenue de Polytechnicien sur les Champs Élysées les 14 juillet.

C’est pendant ces années que je découvris les sciences sociales, tout particulièrement l’ethnologie. Après la sortie de l’École et la fin de mon service militaire, j’entrai en entreprise pour y exercer le métier d’ingénieur pour lequel j’avais été formé. J’entrais à la SEMA (Société d'Etudes de Mathématiques Appliquées) en tant que spécialiste de recherche opérationnelle. Je m’y ennuyais ferme à faire des calculs de rentabilité. Je démissionnai peu de temps après, je me souviens, c’était un 1er avril, et mon patron, croyant à « un poisson d’avril », m’offrit une augmentation. J’avais l’idée de reprendre des études, dans des disciplines qui m’attiraient plus. Après avoir hésité entre la psychanalyse, l’histoire et l’ethnologie, j’optai pour la troisième. J’avais 26 ans.

 

alain testart

Les années difficiles... (préparant un cours dans un
établissement technique supérieur, pendant l'inter-classe)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

alain testart

A Collioure

 

Commencèrent alors quelques années difficiles au cours desquelles il me faudrait assurer mon gagne-pain en tant que professeur vacataire pour me laisser suffisamment de temps afin de me consacrer à mes nouvelles études. Après deux années de Maîtrise, je finissais une thèse en un an, laquelle fut publiée rapidement – ce fut le premier livre édité par la Maison des Sciences de l’Homme. Mon deuxième livre, Les chasseurs-cueilleurs ou l’origine des inégalités, attendit trois années avant d’être publié, encore que sa réception fût bonne chez les préhistoriens auprès desquels il devint vite un « classique ». Toutefois mon opposition au structuralisme, mes options explicitement évolutionnistes, mon intérêt marqué pour la culture matérielle, tout cela rendait difficile mon intégration dans les milieux anthropologiques. Au cours de ma carrière, je devais m’entendre dire à plusieurs reprises que je n’étais pas un ethnologue, ce qui me laissait relativement froid, ayant conscience que ce que j’entreprenais avait peu de rapport avec l’ethnologie telle que je voyais pratiquée depuis qu’elle existait. Je respecte le travail de l’ethnographe, qui implique la patiente observation d’une culture éloignée de la nôtre, je l’admire quand il est bien fait, car je sais pertinemment que toutes nos données en proviennent ; mais ce n’est pas ce que je voulais faire, étant par tempérament un théoricien. L’idée que l’on ne pourrait être bon théoricien qu’en étant en même temps bon chercheur « de terrain » (tout comme l’idée converse que l’on ne pourrait être bon chercheur de terrain qu’en étant bon théoricien) m’a toujours apparu comme une idiotie, démentie d’ailleurs par maints exemples dans l’histoire des sciences. J’avais dans l’idée, et je l’ai toujours, qu’il fallait accepter en anthropologie une division du travail qui avait cours depuis longtemps dans maintes autres disciplines et où elle avait donné ses fruits.

Pendant toutes ces années, je m’éloignais de façon décisive de la philosophie – mon ancienne passion de jeunesse –, lui reprochant l’absence de critère et surtout l’impossibilité d’infirmer ou de confirmer ses propositions par confrontation avec des faits (bien longtemps après, la lecture de Popper devait me confirmer dans cette opinion). Influencé par ceux que je considère comme les grands penseurs des sciences sociales, Marx, Durkheim, Weber, et par quelques grands historiens au premier rang desquels je rangerais Fustel de Coulanges et Marc Bloch, je formais progressivement le projet d’une sociologie générale où les sociétés dites « primitives » seront enfin débarrassées du caractère de simplicité qu’on leur attache si souvent. Mon ambition intellectuelle se précisa à travers maints détours. C’était de les traiter comme les sociétés actuelles ou historiques, en leur adressant les mêmes questions, et des questions aussi complexes. Chemin faisant, je crois actuellement pouvoir refonder sur de nouvelles bases une sociologie générale, ce qui se réalise à travers une œuvre volumineuse dont j’ai actuellement rédigé quatre volumes (sur les huit prévus) – les volumes III et IV, sur le politique étant lisibles ici parmi les « inédits ».

J’entre finalement au CNRS à l’âge de 33 ans, où je ferai toute ma carrière. "

Hommage à l'auteur: lire l'article du Monde du 10/09/13

Pour le détail des livres publiés, voir la liste jointe et les commentaires qui ont été ajoutés par l'auteur – rubrique « œuvres », sous-rubrique « livres ».

 

Pekin, la Cité Interdite (avril 2011)

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans le futur musée du Val d'Aoste (octobre 2011)

 

alain testart bureau

Dans mon bureau de travail à Paris.

 

 

 

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Textes et contenu photographique : Alain Testart