alain testart

 

livres

 
 

 

 

 

2014

 

L'amazone et la cuisinière

Anthropologie de la division sexuelle du travail

 

Paris : Gallimard, 192 p.

 

ISBN 9782070143412

   Pourquoi, dans toutes les cultures, les femmes ont-elles été exclues de la chasse ? Pourquoi n’ont-elles pu ni monter à bord des navires, ni être soldat ? Pourquoi leur a-t-on assigné plutôt les tâches de cueillir, de filer, de tisser, de tanner ? Qu’est-ce qui expliquerait qu’il existe des façons masculines et des façons féminines de couper, de creuser et de travailler la terre ?

   Dans cet essai qui conjugue l’audace intellectuelle et la rigueur scientifique, Alain Testart montre que ce sont les croyances qui sont à l’origine de la différence des activités masculines et féminines, et fait remonter leur filiation à la lointaine préhistoire. Ces croyances, même tacites et irrationnelles, ont des effets puissants sur la réalité et obéissent à une logique cachée : celle du sang périodique des femmes, perçu comme une grave perturbation qui affecte l’intérieur de leur corps et qui les exclut de tâches techniques particulières ou d’activités spécifiques. Même si toutefois cette répartition traditionnelle des activités sera bientôt une chose du passé, elle ne laisse pas d’étonner par sa constance, sa quasi-universalité jusque dans les temps présents. Dans cet essai, enfin de compte, Alain Testart nous entraîne pas à pas dans une réflexion d’une grande nouveauté sur le rôle du sang dans les représentations sociales et la constitution du genre.

 

 

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C’est un bel exemple d’enquête sur la construction sociale du genre. Depuis des temps immémoriaux et jusqu’à nos jours, les femmes sont exclues de certaines activités comme la chasse ou la guerre, la pêche, la métallurgie et même la vigne, alors que d’autres leur sont pour ainsi dire réservées, comme la cueillette, le tissage ou la cuisine. Une telle constance et surtout le caractère presque universel de cette répartition des tâches sont frappants. Si l’archéologie ne peut nous renseigner sur cette division du travail, l’ethnologie des peuples traditionnels qui ont conservé partout dans le monde le mode de vie des chasseurs-cueilleurs peut confirmer l’étonnante permanence de cet état de fait. Certains anthropologues ont tenté des explications, comme « la séparation des matières premières » : le dur – métal, bois ou pierre – étant réservé au hommes, le tendre ou le flexible, aux femmes. D’autres ont lié cette répartition à la notion de mobilité : les femmes, entravées par le soin des enfants, ne pourraient parcourir les longues distances que supposent la traque du gibier, mais partout dans le monde, chez les Indiens d’Amérique, les Aborigènes d’Australie ou chez les Pygmées, elles prennent part aux chasses collectives à titre de rabatteurs, ce qui entraîne de longs déplacements, et jamais comme chasseurs embusqués et armés, lesquels sont parfaitement statiques. Même l’activité de cueillette dont elles ont traditionnellement la charge peut les amener à couvrir de grandes distances, ce qu’elles font souvent la marmaille accrochée à leurs basques. Comme le montre l’anthropologue, les explications naturalistes ne tiennent pas. Dans la métallurgie, métier d’homme par excellence, c’est souvent la force qui est invoquée mais les bas-fourneaux utilisés en Afrique ou en Asie sont des constructions modestes, d’ailleurs souvent élevées par les femmes, et le travail du métal au marteau sur l’enclume est-il vraiment au-dessus des forces de femmes qui peuvent piler des heures durant le mil ou le riz en soulevant des pilons de bois aussi grands qu’elles ?

Pour Alain Testard la véritable explication de cette division sexuelle du travail est ailleurs et s’agissant de sociétés humaines elles est à rechercher du côté du symbolique. La nature n’impose que des limites, c’est dans le domaine du social qu’apparaissent les interdits. Pour la chasse, c’est l’usage des armes qui semble être le critère décisif, et plus précisément de celles qui répandent le sang. Dans la chasse d’approche, comme chez les Inuit, un gourdin suffit pour abattre le phoque qui dort sur le rivage et les femmes le font souvent. Par contre la chasse au harpon est proscrite pour elles. Elles peuvent même, comme chez les Aïnous de l’Extrême-Orient russe ou du Japon, chasser le gros gibier mais elles le font à l’aide de cordes et de chiens, et ailleurs tout ce qui est filet, rets ou bâton à fouir – outil typiquement féminin pour déterrer les racines et les tubercules – leur est autorisé. C’est donc le sang versé qui justifie le tabou, une prohibition universelle et durable liée à la croyance au pouvoir maléfique du sang menstruel. Chez les anciens Grecs, les seuls à avoir imaginé une divinité féminine pour la chasse, Artémis – Diane pour les Romains – est notoirement vierge, elle est entourée exclusivement de femmes, défendant farouchement sa virginité et ignorant le sang de l’enfantement que les anciens, curieusement, assimilaient à celui des règles.

L’agriculture illustre également cette division sexuelle du travail, malgré la grande diversité des cultures et des techniques. Là aussi une constante répartit les instruments et les activités. Pour labourer, la houe peut être maniée par les femmes, la bêche toujours par les hommes, tout comme l’araire et la charrue. Et d’une manière générale, c’est la femme qui sème, une symbolique qui nous est restée dans l’image nationale de la semeuse. L’ensemble des cas de figure étudiés dans cette passionnante enquête d’Alain Testard renvoie donc à l’analogie symbolique avec les fonctions et les particularités du corps féminin. Au point qu’à rebours de toutes ces règles, pour favoriser la fécondité de la terre et en forme de rituel propitiatoire, de nombreux témoignages, en Estonie ou en Inde, évoquent des femmes labourant entièrement nues.

Jacques Munier

 

 

Article de MEDIAPART

 

 

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Textes et contenu rédactionnel : Alain Testart