livres

 
 

 

1986

 

Essai sur les fondements de la division sexuelle du travail chez les chasseurs-cueilleurs.

 

Paris : EHESS (Cahiers de l'Homme), 102 p., épuisé.

 

 

Pour résumer la division sexuelle du travail chez les chasseurs-cueilleurs, on dit que la femme cueille (des végétaux) et que l’homme chasse. Dans cet Essai quelques données peu connues montrent toutefois que la femme chasse en certaines occasions, mais toujours sans utiliser des armes qui font couler le sang. Elles utilisent des gourdins, des filets, etc. Les données en provenance des chasseurs-cueilleurs sont sur ce sujet aussi précises qu’étonnantes. On est parfois en présence d’un véritable tabou sur l’utilisation des lances, arcs et flèches, couteaux de chasse, par les femmes. On n’empêche pas par ailleurs chez les Aïnous les femmes de tuer des cervidés empêtrés dans la neige profonde, ni chez les Inuit les femmes d’abattre en été des phoques en train de dormir au soleil sur les roches (où ils se déplacent difficilement). Elle le font sans les armes typiques de la chasse, sans arc, sans harpon. Elles ne font pas couler le sang. Mais, très bientôt, au moins chez les Inuit, elles dépèceront les bêtes, elles prépareront les peaux. Leurs mains seront dans le sang. Tout comme dans nos sociétés paysannes, ce sera toujours un homme qui égorgera le cochon, mais ce seront toujours elles qui tendront dessous leurs grandes poêles pour recueillir le sang, le cuire, et faire le boudin. Ce n’est pas le sang en lui-même, ce n’est pas le sang de notre biologie qu’ignorent les sociétés traditionnelles, c’est le sang qui s’écoule ou jaillit, le sang dans la mesure où il évoque et est souvent redouté. Nous sommes dans la dimension symbolique.

Cette première conclusion peut paraître bien étonnante. Mais elle l’est moins pour un anthropologue car elle évoque immédiatement les très nombreuses croyances, les interdits ou tabous variés et hauts en couleur qui entourent le sang des femmes dans presque toutes les sociétés traditionnelles, et jusque dans la vieille Europe. En cause le sang de la parturition, le sang de la virginité, mais surtout le sang menstruel.

Très souvent, la femme, durant ses périodes, est confinée dans ce que l’on appelle une « hutte menstruelle », et se voit interdire de vaquer à ses activités ordinaires. On a déjà évoqué les tabous sur les armes qui ne peuvent être touchées par les femmes durant leurs périodes. Du côté des chasseurs, le contact avec les femmes en menstruation est prohibé, tout rapport sexuel est interdit. Par exemple, chez les Aléoutes, population apparentée aux Inuit au sud de l’Alaska, le chasseur qui partirait en mer chasser les loutres après un rapport sexuel ne pourrait en attraper aucune car il serait entouré d’une vapeur rouge invisible aux hommes mais visible des animaux, et les loutres se joueraient de lui et l’éclabousseraient en riant.

Nous voyons donc que toutes ces pratiques de chasse, ces croyances et ces interdits ensemble semblent dessiner un parallèle entre le sang des femmes et le sang des animaux. Tout se passe donc comme si la femme ne pouvait mettre en jeu le sang des animaux dans la mesure où il est question, en elle, de son propre sang. Tout se passe comme si on ne pouvait mettre en présence un sang et un autre. Tout se passe comme si on ne pouvait cumuler un sang et un autre.

C’est cette idée que développe L’essai… en se limitant aux quelques centaines de chasseurs-cueilleurs pour lesquels nous avons de bonnes données. Sont réfutées en passant quelques explications simples qui avaient cours en anthropologie, en particulier que la faible mobilité des femmes (grossesses répétées, soin aux enfants en bas âge, etc.) les auraient empêchées de s’adonner à la chasse. Les facteurs de croyances ont incontestablement un rôle, et un rôle clef, à jouer pour expliquer la répartition des tâches entre les hommes et les femmes.

Salué par la critique féministe, L’essai… est épuisé en quelques mois. L’article « La femme et la chasse » de 2005 (et la vidéo-conférence sur ce même sujet) en présente les idées principales de façon ramassée. Elles devraient bientôt être reprises dans un livre plus général qui montrera l’étonnant rôle de ces superstitions (comme celle relative à la mayonnaise) jusque dans nos sociétés actuelles.

 

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Textes et contenu rédactionnel : Alain Testart